Le besoin d’ordre du jeune enfant

L’enfant, entre 0 et 6 ans, traverse une période durant laquelle il est particulièrement sensible à l’ordre. Il s’agit même chez lui d’un besoin fondamental à son développement harmonieux.

Un besoin que nous pouvons repérer et soutenir, pour aider l’enfant dans sa construction psychique et sociale.

 

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S’ordonner c’est s’orienter

« (…) La nature a mis chez l’enfant cette sensibilité à l’ordre pour construire un sens intérieur qui n’est pas destiné à établir la distinction entre les choses, mais la distinction des rapports entre les choses. Et c’est ce sens qui transforme l’ambiance en un tout, là où ses différentes parties dépendent les unes des autres. C’est dans une telle ambiance, connue dans son ensemble, qu’il est possible de s’orienter pour atteindre à certains buts. Sans une telle acquisition c’est les fondements même de la vie de relation qu’il manquerait. » Maria Montessori, L’Enfant.

Cette citation de Maria Montessori est tirée de son livre L’Enfant, parut en 1936. Ces quelques lignes sont un très bon point de départ afin de comprendre l’importance de l’ordre et de la constance dans le monde du jeune enfant.

En effet, ordre, orientation et relation sont intrinsèquement liés et reliés dans la vie de l’enfant, et comprendre ces phénomènes nous permet de mieux comprendre l’enfant. Mais aussi d’éviter ou d’apaiser certaines situations conflictuelles qui peuvent sérieusement contrarier le quotidien…

Commençons par poser la définition de l’ordre dont il est ici question.

Nous ne parlons pas ici d’un ordre inhibant, qui empêcherait ou contrarierait le mouvement. Au contraire, l’ordre ici a une fonction de relation, qui va permettre le mouvement et l’activité de l’enfant.

Il s’agit d’un ordre, d’une organisation de l’environnement extérieur permettant à l’enfant de s’ordonner intérieurement, c’est à dire psychiquement.

Un environnement épuré, rangé, ordonné, où chaque chose a une place précise et fixe, permet à l’enfant d’ordonner ses perceptions de ce monde qu’il découvre.

Grâce à l’ordre extérieur, l’enfant construit donc sa connaissance du monde et son sentiment de sécurité, de confiance. C’est cette base qui lui permet de s’orienter et le pousse alors à aller découvrir; explorer librement et à faire des liens entre les différents éléments de sa réalité.

C’est parce qu’il connait la place de tel jouet dans sa chambre, qu’il sait retrouver la place de son doudou, qu’il retrouve toujours à la même place tel meuble dans la salle de bain, ou tel objet dans la cuisine, que l’enfant est sécurisé, apaisé. Il peut alors prendre appui sur cette connaissance de son environnement, cette capacité d’orientation, pour s’élancer plus loin et continuer sereinement son exploration.

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S’ordonner c’est ritualiser

Un rythme routinier est repérant, rassurant pour l’enfant et lui permet de développer sa capacité à anticiper et donc à s’adapter.

L’enfant a besoin de repères dans le temps : manger et se coucher à heures fixes par exemple; mais aussi dans la façon dont les adultes prennent soin de lui et lui présentent le monde. L’adulte doit donc être ordonné dans son attitude, dans sa façon de bouger, ses gestes, qu’il ralenti pour qu’ils soient précis, adroits, sécurisant (lors du portage, des soins, des repas, du coucher…). Ces moments de relation à l’enfant doivent être ritualisés, être constant et repérant pour le bébé et le jeune enfant.

Notre façon de nous adresser à l’enfant aussi est un repère fort pour lui; le ton de notre voix, les mots que nous employons. Également la façon que nous avons de le porter dans nos bras, de le toucher.

Voilà autant de rituels organisés du quotidien, qui sont de véritables organisateurs internes pour l’enfant.

Observez un enfant qui pénètre dans un lieu familier où il connait la place des objets; ainsi que les personnes s’y trouvant. L’enfant n’est pas distrait ou perturbé car il connait cette ambiance. Un environnement familier, adapté diffuse un sentiment de sécurité chez l’enfant qui lui permet de poser son attention, de s’engager dans son activité autonome, et donc de se concentrer.

C’est en se concentrant que l’enfant peut apprendre et se construire psychiquement. Car il est centré, dans l’ici et le maintenant, connecté à son activité, à son besoin; qu’il nourrit et qui le construit.

Ordre extérieur et concentration sont donc reliés. Tout comme l’ordre intérieur qui est une conséquence directe de la concentration.

Nous ne faisons pas autre chose lorsque nous méditons. Pour méditer, l’ordre extérieur est indispensable. Difficile de méditer dans une pièce encombrée et dérangée, dans le bruit et le désordre. Nous avons besoin pour méditer d’un minimum d’ordre extérieur. C’est cela qui nous permet de nous focaliser, de nous concentrer. De cette concentration; vécue par le méditant, naît alors un sentiment de bien être, d’équilibre, d’ordre intérieur retrouvé.

Cette analogie nous permet de comprendre l’importance à accorder à l’ordre lorsqu’on prend soin d’un tout petit, comme d’un plus grand.

Il ne s’agit pas d’être figé et rigide; la vie est faite d’imprévus, de changements, de nouveautés et de spontanéité. Face au mouvement naturel de la vie, il s’agit que notre attitude générale envers l’enfant reste constante et régulière. C’est avant tout la posture et l’attitude de l’adulte qui aide l’enfant à s’organiser intérieurement et répondre ainsi à son besoin naturel d’ordre.

Cohérence et anticipation

Il nous faut porter notre attention sur la cohérence éducative que nous transmettons à l’enfant, la cohérence de nos façons d’être, mais aussi du cadre et des règles de vie qui sont autant de repères pour l’enfant.

Il parait indispensable d’aider l’enfant à porter lui aussi très tôt son attention sur cette cohérence de l’environnement.

– Penser à sécuriser, en rangeant au mieux l’espace de vie avec leur aide.

– Encourager l’enfant, dès qu’il en est capable, à ranger et à classer ses affaires. Pour cela, mettre à sa disposition des bacs à jouet organisés et triés, et l’aider à ranger et à classer. Ce genre d’activité de tris nourrit la pensée logique de l’enfant qui en classant, en ordonnant ainsi, développe son esprit logique et mathématique.

– Dès 2 ans et demi, l’enfant peut vous aider à classer les vêtements sec après un lavage (gants de toilette, torchons de cuisine, culottes, chaussettes…)

– Il en est de même pour la vaisselle : trier les couverts après la vaiselle (fourchettes, couteaux ronds, grandes cuillères, petites cuillères….)

– Respectez l’enfant dans ses petits rituels sécurisant (lors de l’arrivée à l’école le matin; lors du retour à la maison le soir, et en général au cours des temps de « transition » d’un espace ou d’un moment de la journée à l’autre).

– Permettre au maximum à l’enfant d’anticiper, et ainsi, d’ordonner les évènements qui vont avoir lieu pour lui. Pour cela, prévenir l’enfant suffisamment à l’avance lors d’un départ : « cet après-midi nous allons rendre visite à mamie ». Puis à nouveau 5 minutes avant : « Tu te souviens je t’ai dit que nous allions chez mamie. Je reviens dans 5 minutes pour t’aider à te préparer d’accord ? »

– Le prévenir également de ce qu’on attend de lui :  « Je vois que tu joues,  mais c’est bientôt l’heure de dormir alors dans 5 minutes il faudra ranger et aller te mettre en pyjama d’accord ? Tu as encore 5 minutes de jeu je reviens ensuite. »

– Dans ces cas là, il est utile de s’assurer que l’enfant ait bien entendu et compris (un petit « d’accord ? » permet de capter son attention et son regard). Penser à toujours se placer à la hauteur de l’enfant et s’adresser à lui en le regardant dans les yeux. 

– Si l’enfant a une réaction disproportionnée face à un évènement qui vous paraît anodin, essayez de comprendre ce que vous avez fait différemment par rapport à d’habitude.

– Essayer, dans la mesure du possible, de ne pas trop perturber le rythme de l’enfant (surtout pendant ses périodes de vacances) avec des changements de vie trop brutaux. Si l’ordre est perturbé en permanence, l’enfant le sera aussi.

– Dans la même logique, il est important de ne pas attendre d’un enfant qu’il apprécie rapidement des personnes inconnues ou des lieux nouveaux.

Il est dans la nature humaine de ne pas être à l’aise face à la nouveauté.  Gardez à l’esprit que l’enfant entre à peine dans le monde; tout lui est inconnu et tout est déjà constamment nouveau pour lui. 

Il est bien sûr important d’apporte de petites nouveautés dans la vie d’un enfant mais il s’agit d’un savant dosage. Plus un enfant est jeune, plus il a besoin de stabilité et plus le changement sera synonyme de difficulté pour lui. Certains enfant, en fonction de leur personnalité y seront plus sensibles, ainsi, notre observation doit, comme toujours guider notre réponse éducative. Tout comme doit l’être notre connaissance des besoins de l’enfant et de ses sensibilités particulières.

La période sensible de l’ordre

Ce besoin d’ordre est en effet un besoin fondamental chez l’enfant. Et de 0 à 6 ans, l’enfant y est particulièrement sensible. Il traverse en effet durant les 6 premières années de sa vie, différentes périodes sensibles, dont la plus fondatrice est celle de l’ordre; qui sera l’axe névralgique permettant aux autres périodes sensibles de se déployer correctement chez l’enfant. 

Les périodes sensibles chez l’enfant de 0 à 6 :

  • La période sensible de l’ordre,
  • La période sensible du développement et du raffinement du mouvement,
  • La période sensible développement et du raffinement du langage,
  • La période sensible du développement et du raffinement des perceptions sensorielles,
  • La période sensible du développement social,
  • La période sensible aux petits objets (que Maria Montessori a peu développé dans ses écrits).

Les autres périodes sensibles ne peuvent se déployer harmonieusement sans une toile de fond solide : l’expression de la période sensible de l’ordre.

Le besoin d’orientation, de sécurité, de stabilité que nous éprouvons tous en tant qu’adulte, est la juste continuité du besoin d’ordre primordial chez l’enfant.

Pensons à notre ressenti émotionnel d’adulte lorsque, persuadé que nous avions laissé un objet à une place précise (exemple typique : notre téléphone portable…), nous ne le retrouvons plus à cette place-ci. Analysons encore notre inconfort lorsque quelqu’un déplace nos affaires sans nous en informer, ou alors lorsqu’un plan organisé à l’avance est annulé à la dernière minute, indépendamment de notre volonté.

Exemple plus percutant encore; l’incompréhension que produit chez nous, le changement soudain d’humeur ou de ton de notre interlocuteur. 

Que ressentons-nous face à ces bouleversements de l’ordre extérieur que nous construisons au quotidien ? Lorsque nos rituels sont perturbés, lorsqu’une organisation n’est pas respectée, lorsque nous ne pouvons prévoir la réaction d’un autre, c’est intérieurement qu’un désordre naît. Ce désordre entraîne contrariété, stress et mal-être.

En tant qu’adulte, nous avons les forces nécessaires (la plupart du temps….) pour nous adapter au désordre extérieur qui fait irruption dans notre quotidien et nous désorganise intérieurement. Nous avons construit, au fil des années, les outils nous rendant capables de contenir ce désordre, de retrouver un équilibre interne, et de nous réorganiser autrement, de nous adapter, en fonction du désordre rencontré.

Le jeune enfant lui n’est pas encore capable de faire cela, son développement ne le lui permet pas encore. C’est donc à nous adulte, de l’aider à construire petit à petit cette organisation intérieure, cette capacité d’adaptation et de retour à l’équilibre. L’aide utile et primordiale à apporter à l’enfant est donc de lui proposer une organisation extérieure stable et sécurisante, un rythme de vie le plus ritualisé et constant possible.

Sans cette organisation repérante, base sécurisante, constante et contenante, le besoin d’ordre de l’enfant est contrarié.

L’enfant exprime alors sa désorganisation par son comportement. Nous assistons alors à de ce que nous nommons « caprices » ou « crises »; expressions violentes du désordre intérieur vécu par l’enfant.

Ainsi, l’ordre intérieur n’est pas suffisamment instauré et solide, un désordre peut-être perçu par l’enfant comme un drame. L’enfant peut manifester le déséquilibre intérieur vécu par des comportements de refus, d’opposition ou encore des pleurs, lorsque la période sensible de l’ordre est heurtée.

S’ordonner c’est se relier

L’Ordre extérieur fait donc fonction d’étayage à la construction de l’ordre intérieur chez l’enfant. Mais également à sa relation au monde et aux autres et à son besoin d’exploration. En effet, l’enfant a besoin de rencontrer un environnement suffisamment ordonné sinon il sera extrêmement difficile pour lui de comprendre son monde, de s’y orienter. Mais également difficile de mettre en lien les choses du monde, et donc de se mettre en lien avec le monde et les autres.

C’est en ce sens que Maria Montessori écrivait que sans orientation ce sont : « les fondements même de la vie de relation qu’il manquerait ».

S’ordonner, s’orienter, permet donc au jeune enfant d’entrer en relation avec le monde. Monde auquel appartient l’autre. Le besoin d’ordre fondamental chez l’enfant nourrit donc un autre besoin essentiel : celui de socialisation.

Ainsi, c’est également la construction de sa vie sociale que nous soutenons, en tant qu’adulte, lorsque nous permettons à l’enfant de s’orienter. En effet, nous l’aidons à envisager sa propre place dans la société, ainsi que la place des autres.

Au sein d’un environnement constant et sécurisant où il pourra évoluer en toute confiance, l’enfant ne se sentira pas inquiété quant à sa place dans le monde et dans son groupe social. L’autre ne sera donc pas vécu comme un obstacle ou une menace à sa propre réalisation. Au contraire, l’autre, les autres, seront accueillis avec joie et curiositéL’enfant pourra donc s’engager dans sa vie, et dans ses relations aux autres en toute confiance,

 

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Petit résumé pratique

  • Un environnement épuré, rangé, ordonné, où chaque chose a une place précise et fixe, permet à l’enfant d’ordonner ses perceptions de ce monde qu’il découvre.

  • Un rythme routinier est repérant, rassurant pour l’enfant et lui permet de développer sa capacité à anticiper et donc à s’adapter.

  • L’adulte doit être cohérent dans sa façon de prendre soin de l’enfant et dans le cadre et les limites qu’il pose. Cela sécurise l’enfant.

  • C’est en se concentrant, en se centrant dans l’ici et le maintenant que l’enfant peut apprendre et se construire psychiquement.

  • Le jeune enfant n’est pas encore capable de maîtriser ses émotions et sa désorganisation intérieure.

  • L’aide utile et primordiale à apporter à l’enfant est donc de lui proposer une organisation extérieure stable et sécurisante, un rythme de vie le plus ritualisé et constant possible.

  • Le besoin d’ordre fondamental chez l’enfant nourrit donc un autre besoin essentiel : celui de socialisation.

    Fanny

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